Judith Avenel à l’Institut Bernard Magrez : pas d’art sans vérité, de Rafael Lucas

 

A travers l’art et le corps comme médiation, Judith Avenel poursuit le cheminement d’une réflexion existentielle et esthétique. Le corps est partout, dans une omniprésence qui est aussi une « réelle présence », au sens où l’entendait George Steiner, dans le livre du même nom. Dans les souvenirs de Judith, une scène de dissection de cadavre place le corps au point de départ d’une interrogation sur les rapports entre vie et survie confrontées au « défi de la disparition des choses ». C’est bien le corps qui constitue « le socle du questionnement ». D’où la question : « Comment vivre la disparition et la perte » ?

En composant L’homme de boue (un homme d’argile et de paille), Judith Avenel touche et travaille un signifiant chargé de contenu mythique : l’homme à « l’argile prométhéenne » rappelle aussi l’homme de la Genèse animé par le souffle divin. L’argile, symbole de l’humaine condition est « soumise à l’érosion naturelle du temps». Cette prise de conscience de la dégradation programmée de notre argile vitale débouche sur l’idée « avenellienne » de « l’entropie », déperdition et désordre dynamique, mais déperdition tout de même, suivie de dispersion et de désintégration. La structure de paille et d’argile de L’homme de boue, attaquée par l’eau de pluie, met à nu l’armature, comme une carcasse dérisoire.

La quête sur l’aspect transitoire de l’existence, Judith Avenel l’a poursuivie également en Afrique de l’Ouest, lors d’un séjour au Burkina Faso, en plein plateau mossi à Koudougou. Il en a résulté Funérailles, où elle a mis en scène l’enterrement d’une carotte, d’une tomate et de son propre visage. L’artiste procède aussi par moulage, ce qui permet à la matière de garder la mémoire du corps. Dans le moulage d’un corps d’enfant atteint du kwashiorkor, l’ombre de la souffrance et de la carence du corps est captées par l’artiste. L’ombre des absents se dessine dans l’herbe. La verdure tranquille et implacable de l’herbe entoure l’image du corps recroquevillée, annonçant la victoire inéluctable du végétal. La dimension entropique, celle du désordre est également celle du scandale de la dégradation de l’énergie vitale.

Dans un autre tableau, la fenêtre d’une salle aux murs blancs donne sur un parc mélancolique. Cette fenêtre matérialise-t-elle « la peur d’une séparation définitive » ? Face à l’angoisse de « l’insoutenable vulnérabilité de l’être » et de l’horizontalité définitive du « ici gît », il faut rester debout (bien qu’on soit de boue), ou du moins « chercher à ne pas tomber ». Judith Avenel évoque le roi Bérenger, dans Le Roi se meurt de Ionesco, personnage émouvant et tragicomique confronté à l’épreuve de la mort.

Pourtant dans l’œuvre de Judith, malgré le contenu « grave et constant » qui pour George Steiner caractérise l’œuvre d’art, l’amour de la vie est présent ; il s’échappe par tous les pores de son œuvre, notamment par l’attention accordée aux ventres féminins et aux courbes et aux volumes. Une présence réelle et diffuse.